lundi 4 avril 2011

Frritt Fllaccc

En janvier 2011, la Cie Les Oiseaux Mal Habillés crée Frritt Fllacc de Jules Verne. Cette petite forme, interprétée par Rozenn Biardeau, Cyrille Labbé et Valentin Ceccaldi au violoncelle, mèle l'univers du conte et celui de la musique contemporaine dans un genre décalé.

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les Oiseaux Mal Habillés a dit…

Début janvier 2011. Prison de Compiègne. Une petite salle de parpaings grisâtres, minable et froide.
Ce 7 janvier, Rozenn, jeune femme dynamique et talentueuse, est accompagnée de deux jeunes gens, un comédien, Cyrille Labbé et un musicien violoncelliste, Valentin Ceccaldi. Ils sont là pour offrir aux spectateurs un texte de Jules Verne, Frritt Flacc. En deux mots : Dans une ville sinistre, un docteur refuse de soigner les patients misérables. Il ne soigne que les riches. Une nuit, non moins sinistre que la ville, il est appelé au chevet d’un mourant. Comme il reçoit une forte somme pour exercer son métier, accompagné de son chien Hurzof, il se rend à l’adresse indiquée, dans la tempête. La route est sombre, inquiétante. Il se rendra compte qu’en réalité, il est l’agonisant et que c’est lui-même, cette fois, qui va mourir.
Il y a donc du suspense, un climat, des résonances noires, une atmosphère de conte fantastique et, sans doute, une leçon de morale.
Le parti pris de Rozenn Biardeau consiste à utiliser les ressources de la lecture, du conte et, d’une certaine manière, de la pantomime.
La lecture est relative parce que si l’objet « livre » est bien là, la mémoire du texte est telle que les yeux peuvent se porter bien au-delà des pages, sur les publics, sur l’horizon, sur les objets ou personnages imaginaires.
Souvent, les lecteurs deviennent conteurs. Conteurs assis ou debout, dans peu d’espace. Chaque geste ou chaque action physique est une information précise sur les états d’âme, la peur, la perplexité, ou sur les lieux, les atmosphères, les intentions, c‘est pourquoi l’on peut parler de pantomime.
La musique est une scénographie sonore efficace. Le musicien s’amuse et il maîtrise son instrument.
Il s’agit d’une lecture en jeu et d’une mise en jeu de l’acte de lire. Un livre vivant. Les spectateurs sont entrés rapidement dans ce Jeu. Si l’un d’entre eux a eu plus de peine à le jouer ce jeu, Rozenn a su, à l’intérieur même de sa proposition, lui donner les moyens de revenir dans le partage commun.

A la suite du spectacle, un court débat a révélé à quel point tel ou tel spectateur a pu éprouver en lui-même les significations probables ou possibles de cet étrange récit. Il y eut même un monsieur plein d’humour pour affirmer que ce méchant médecin immoral lui faisait beaucoup penser à un avocat de sa connaissance. « D’accord avec Jules Verne, a-t-il dit, en substance, mais moi j’aurais remplacé le médecin par un avocat .» Il y eut aussi ceux qui, sensibles aux propos de l’auteur, remarquèrent néanmoins le caractère, à leurs yeux, désuet, de l’écriture, du style.
Rozenn et sa petite équipe ont su répondre avec tact et subtilité mais sans complaisances d’aucune sorte aux réactions du public. Il y eut, pour finir, un échange de remerciements dont l’émotion n’était pas absente.
Ce spectacle original mérite d’être diffusé en tous lieux et pas seulement en milieu carcéral. Il donne envie de lire ou de relire Jules Verne. Il est sobre, économe. Il a la simplicité et la puissance des « tendres preuves du printemps et des oiseaux mal habillés. »
Cette jeune compagnie aurait donné plaisir et joie à René Char lui-même. Ne serait-ce qu’en souvenir des chemins inattendus de la résistance.
Raymond Godefroy